Roberto Saviano et le mythe du héros. Les critiques de Gomorra et la criminalité organisée en Italie.
Roberto Saviano et le mythe du héros.
Les critiques de Gomorra et la criminalité organisée en Italie.
par Marco De Biase
Introduction
Le roman Gomorra. Viaggio nell’impero economico e nel sogno di dominio della camorra de l’auteur napolitain Roberto Saviano est publié en Italie par les éditions Mondadori en avril 20061. Environ 2 millions cinq cent mille exemplaires sont vendus en Italie, en quelques années il est traduit en 53 langues, et est vendu à environ quatre millions d’exemplaires dans le monde. Il devient un des bestseller les plus importants des dernières décennies, à l’égal des livres de Stieg Larsoon et Stephen King. Le succès mondial de Gomorra n’est pas immédiat, bien que le livre se vende à 5000 exemplaires la première semaine de sa sortie en Italie. C’est, de fait, seulement après la seconde apparition publique de Roberto Saviano à Casal di Principe (une des communes de Campanie qui connait le plus haut degré d’infiltration criminelle) avec quelques représentants des institutions, en septembre 2007, et après les menaces de mort reçues au mois d’octobre, que Gomorra et surtout son auteur deviennent des icônes internationales de la lutte contre la criminalité organisée. Par la suite, après la participation de Saviano à des émissions de télévision et à de nombreux évènements internationaux lors desquelles son livre est primé, l’auteur napolitain est officiellement consacré comme un héros qui combat à visage découvert contre les mafias, en risquant sa vie. Parallèlement à ce nouveau rôle, Saviano reste journaliste pour un des grands quotidiens italiens, La Repubblica, et pour deux émissions télévisées à succès.
Le livre et l’auteur
Gomorra, dès la couverture sur laquelle apparait l’oeuvre Knives du célèbre artiste Andy Warhol, est présenté comme un livre qui provoquera le débat et laissera des traces profondes dans l’histoire de l’édition italienne et la conscience des lecteurs. Le livre devrait amener les lecteurs les plus réceptifs, mais surtout ceux qui se sentent moins concernés, à comprendre la force de pénétration de la mafia italienne, en particulier de la camorra napolitaine.
Dans la brève introduction qui se trouve en quatrième de couverture, Gomorra est présenté comme un “incroyable, bouleversant voyage dans le monde affairiste et criminel de la camorra” dans lequel l’auteur, qui a vécu ce qu’il raconte, a reconstruit les faits de manière scrupuleuse et documentée. Saviano se propose d’amener le lecteur, par une technique narrative captivante, crue, violente et spectaculaire, à faire un voyage dans l’empire économique de la camorra napolitaines, à travers le récit de différents épisodes liant la dimension territoriale du pouvoir camorriste à sa force de ramification internationale, à l’intérieur de l’économie de marché globalisée.
Gomorra n’est donc pas présenté comme un roman, mais comme une sorte d’ethnographie sui generis, un journal écrit au jour le jour par le jeune auteur qui raconte la terrible réalité de sa terre. Cela rentre en droite ligne de la stratégie éditoriale de la maison d’édition mais a simultanément propulsé Saviano sur la scène publique au titre d’un expert de mafia, dans un pays comme l’Italie où le problème historique des criminalités organisées reste confiné à ses dimensions médiatiques et judiciaires au détriment de celles sociales et politiques. A l’aune de ce constat, le ” phénomène Saviano ” doit être nécessairement analysé et discuté.
En vérité, le livre de Saviano s’inspire d’une série d’enquêtes judiciaires romancées par l’auteur, et une série d’événements, comme dans les premières pages où Saviano décrit les cadavres congelés des Chinois qui tombent d’un container dans le port de Naples, non référencés à l’intérieur du livre, et qui ont suscité une multitude de polémiques et de critiques envers l’auteur, qui ne sont jamais apparues dans les médias italiens dominants.
Le lancement de Gomorra, présenté comme livre-vérité, les nombreuses interventions publiques de l’auteur sur la camorra et les mafias en général, et le succès du film tiré du livre de Matteo Garonne ont eu certainement pour effet de porter l’attention internationale sur le problème complexe de la camorra dans un région du sud de l’Italie (la Campanie), en se présentant comme une production différente de la très vaste littérature et filmographie déjà existante en Italie sur le même thème.
Gomorra n’est quasiment jamais présenté comme un roman et les interventions publiques de l’auteur ne sont jamais interprétées comme les paroles d’un écrivain, mais comme les réflexions d’un homme qui a lui-même vécu le drame de la criminalité, et qui dit “la vérité”. La grande majorité des intellectuels et journalistes italiens s’accorde sur ce point, comme des prix nobel de divers pays qui manifestent leur solidarité avec l’auteur après les menaces de mort et parlent de Gomorra comme d’un chef-d’oeuvre absolu d’écriture civique par un homme qui a fait de la lutte contre les mafias sa raison de vivre, sacrifiant ainsi sa liberté. Dans ce contexte, il devient pratiquement impossible de critiquer Roberto Saviano ou de mettre en doute ce qu’il écrit sur les mafias, protégé qu’il est par l’auréole d’héroïsme civique qui le rend intouchable.
Les critiques de Gomorra et le mythe du héros.
Au mois de mai 2010 – période lors de laquelle Saviano est au sommet de sa notoriété internationale-se déchaine en Italie un débat féroce après la sortie du livre du sociologue (étiqueté de gauche) Alessandro Dal Lago, publié par les éditions du ” Manifesto ” (Manifesto Libri): Eroi di carta. Il caso Gomorra e altre epopee (Héros de papier. Le cas Gomorra et les autres épopées). Le texte de Dal Lago est le premier livre critique sur Gomorra, dans lequel l’auteur analyse de façon approfondie l’oeuvre de Saviano, non seulement du point de vue éditorial et commercial mais aussi de celui de la critique littéraire2.
Dal Lago impulse une réflexion très sérieuse sur les effets de simplification qu’un livre comme Gomorra peut amener dans la compréhension et la lutte contre un phénomène très complexe comme le phénomène mafieux.
Alessandro Dal Lago subit alors un véritable lynchage médiatique de la part de la majorité des quotidiens italiens qui l’accusent d’avoir mis en doute la “bonne foi” et l’héroïsme de Saviano, notamment l’ex-directeur du Corriere della Sera, Pierluigi Battista, et beaucoup d’autres journalistes et intellectuels de renom. Le 28 mai 2010, dans un éditorial à la première page du quotidien La Repubblica, Adriano Sofri s’attaque à Alessandro Dal Lago en l’accusant de mettre en péril, par ses critiques, la vie de l’écrivain napolitain. “Aucune personne ayant lu Gomorra ne peut douter que son protagoniste soit Roberto Saviano. Mais le héros du livre, pour reprendre les termes d’Alessandro Dal Lago, est à un pas du héros de papier. Et un petit pas sépare le héros de papier du héros mort”3. En outre, Sofri soupçonne que les critiques de Saviano ne soient qu’une réaction de jalousie face au succès international de l’auteur et à la richesse accumulée grâce aux droits d’auteur.
“La vie de Saviano est menacée, la menace n’a pas de limites de temps ni d’espace, et sa vie doit être protégée. C’est une vie amère, et celui qui croit que cette amertume est compensée par la fête que Saviano retrouve dans certaines rencontres est un fou, qui vendrait son âme au diable si le diable s’intéressait à des âmes pareilles. C’est voir Saviano à travers son succès, comme le font les camorristes, mais aussi ces malheureux qui négligent le sang et voient les choses de trop bas”4. Un autre intellectuel italien connu comme D’Arcais lance ses invectives contre Dal Lago, et conseille aux lecteurs de son journal de ne pas acheter le livre et de ne pas perdre leur temps à lire un texte “ignoble” écrit par un des rares héros civiques d’une démocratie massacrée par le régime de Berlusconi. D’Arcais écrit en se référant à Eroi di carta: “Non, je ne le lirai pas, et j’espère qu’il seront vraiment peu, dans l’Italie qui veut résister et passer à l’offensive – MORALE et par conséquent politique – pour se libérer d’un régime toujours plus sombre, ceux qui perdront leur temps à le lire”5.
La question à se poser est alors: pourquoi Eroi di carta a-t-il suscité un débat aussi fort? Pourquoi la critique de Dal Lago n’a-t-elle même pas été discutée par quelques intellectuels? La réponse à cette question se trouve dans le texte du sociologue et dans l’analyse qui lie la lutte contre la criminalité organisée et les derniers revers de la démocratie italienne.
Selon l’analyse de Dal Lago, il y a dans Gomorra une triple analogie entre le narrateur, l’auteur et l’homme Saviano, qui confère aux faits relaté un “effet de véritée”, même s’ils ne sont pas certifiés. C’est pour cette analogie que le livre dans lequel l’auteur raconte à travers le narrateur les vérités humaines de l’homme Saviano, né et grandi sur les terres de la mafia, et militant contre le crime organisé. Les faits décrits dans Gomorra ne peuvent pas faire l’objet d’une analyse critique, étant donné l’absence de sources. Ce qui a pour conséquence qu’il faut y croire ou alors, dans le cas contraire, on mettrait en doute “la verité” de Saviano. Cela, comme l’a écrit Flores D’Arcais, serait un acte ignoble. Dal Lago écrit: “Mettre en doute la vérité de Gomorra signifie nier la vérité de ce que raconte le narrateur, de l’auteur et donc de l’homme Saviano. C’est pire qu’un doute: une infamie. Et puisque le livre traite de camorra, l’infamie prend la forme d’une trahison de Saviano en faveur de la camorra. C’est l’opinion quasi unanime qui a accueilli toute critique à Gomorra6”. En ce sens, Gomorra serait un dispositif qui produit un “effet de vérité” déterminé.
La thèse du livre, énoncée dès le quatrième de couverture, nécéssitait, selon Dal Lago, un acte de foi envers la triple première personne: le narrateur, l’auteur et l’homme. Comme on le sait, les actes de foi s’adressent seulement à Dieu et aux héros, à ces entités divines et aux existences terrestres qui se veulent super partes.
En ce sens, comme le sociologue le met en évidence, Gomorra et les interventions publiques qui ont suivi s’inscrivent dans ce registre, au dessus des partis. La vérité de Saviano sur la camorra n’est ni de droite ni de gauche. Le style de l’auteur, son langage pendant ses interventions, présentent des tranches de bien et de mal, et la camorra n’apparait jamais comme un phénomène social, mais comme un drame qui est reproduit avec un schéma manichéen, dans lequel le Mal est incarné par la monstruosité sous-humaine des camorristes, et le Bien par les héros civiques de la morale incorruptible. Sur ce point, Dal Lago ramène l’héroïsme de l’auteur de Gomorra au contexte italien, dans lequel il y a une solide tradition de rhétorique “combattante et patriotique” qui va du Risorgimento jusqu’au Ventennio fasciste7. Mais Dal Lago fait un pas de plus et lit Gomorra a l’intérieur du débat politique qui, dans cette période, voit une mise en tension exacerbée entre une gauche légaliste et justicialiste qui s’oppose, via des armes de la morale, à un régime berlusconien dégénéré et monstrueux dans lequel les fautes graves du premier ministre sont retirées de l’histoire politique des dernières décennies et ramenées à l’homme Berlusconi, à travers des catégories morales et moralisantes. Gomorra, est donc, outre une grande opération éditoriale et commerciale, inscrit dans le climat politique de cette période au cours de laquelle la gauche a perdu ses catégories historiques d’analyse de la réalité économique, politique et sociale pour se lancer dans une bataille contre le Mal-Berlusconi, réduisant le débat politique à une sorte de farce judiciaire dans laquelle Berlusconi, le crime organisé, le criminel de droit commun, le drogué, et jusqu’aux jeunes de mouvements de protestation sont jugés moralement et réduits à des symboles du Mal contre lequel il faut agir pour le bien de la collectivité toute entière.
Dans ce contexte, écrit Dal Lago, la recherche de héros pour résoudre les maux séculaires de l’Italie s’est accentuée et “l’objective difficulté à trouver dans notre passé des exemples illustres d’héroïsme armé a fait qu’on a célébré des citoyens tombés dans l’accomplissement du devoir en temps de paix”8. La consécration des juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, tués par la mafia sicilienne dans deux attentats atroces en mai et juin 1992 entre dans ce cadre. “Exemples illustres”, affirme Dal Lago, “qui mettent en relief, par leur sacrifice, l’anormalité de la situation italienne”. Dans le même ordre d’idées, se trouve Umberto Santino, selon moi observateur et analyste le plus aigu de la criminalité organisée italienne, qui a publié en avril 2011 Don Vito a Gomorra: mafia e antimafia tra papelli, pizzini e bestseller, un texte qui discute de façon critique, entre autres, le livre de Saviano et la polémique qui s’est déchainée après la parution de Eroi di carta de Dal Lago. Sur la rhétorique du héros dont se serait imprégné Saviano et sur les figures des juges Falcone et Borsellino, Santino écrit qu’en Italie “On ne lutte pas sérieusement contre le crime organisé, mais on vénère les héros tombés dans la bataille contre lui. Et je pourrais ajouter qu’on les vénère morts, car Falcone et Borsellino, comme beaucoup d’autres, ont été isolés, contrecarrés, dénigrés quand ils étaient vivants, et sanctifiés quand ils sont morts9”. En ce sens, Gomorra et Saviano s’inscriraient, pour Dal Lago, dans une tradition italienne dans laquelle la rhétorique incessante du héros qui combat la criminalité organisée est, consciemment ou non, une façon “de cacher l’inaction (et les vastes connivences avec le crime organisé) des pouvoirs publics”10. La rhétorique de l’héroïsme qui a animé le débat autour de Saviano, aurait une fonction anesthésiante et rassurante, pour Dal Lago comme pour Santino. L’opinion publique se complairait “dans l’exceptionnalité des comportements, ou dans les sacrifices suprèmes11” et se tairait sur les “connivences, complicités, opportunismes, omissions, doubles jeux”12. S’il y a un terrain sur lequel la rhétorique de l’héroïsme est forte, et pas seulement en Italie, c’est bien le crime, le lieu dans lequel le Bien et le Mal s’affrontent, comme dans la bande dessinée Trecento appréciée par Saviano, ou dans les aventures du super héros Batman situées à Gotham City13.
Un autre aspect intéressant de la critique de Dal Lago est celui qui lie l’héroïcité de la lutte contre la mafia à l’essentialisation et à la naturalisation des criminels, et très souvent aux contextes dans lesquels le crime a dégradé et perverti territoire et société. En ce sens, dans Gomorra, comme dans les autres récits de Saviano, les traits monstrueux et bestiaux prennent le dessus dans la description de la camorra et des camorristes. Dal Lago écrit: “pour qu’un héros soit vu comme tel, il est indispensable qu’il recueille l’unanimité. Et cela n’est possible que quand l’ennemi est le mal absolu, qui se place hors de l’humanité et de ses formes ordinaires”14. En conséquence, Gomorra n’apporte rien de neuf, non seulement parce qu’il ne dit rien qu’on ne sache déjà sur les pouvoirs mafieux en Campanie, mais également parce qu’il s’inscrit dans le débat classique sur les mafias et l’anti-mafia en Italie qui, depuis plus de vingt ans, “a marginalisé toute représentation du crime qui ne s’aligne pas sur l’opposition absolue entre bien et mal”15.
Dans ce cadre, Saviano décrit continuellement les mafias comme peste, métastases, cancer à extirper et ceci à travers un langage baroque et “dégoûté” qui cherche à susciter une sorte de rejet chez ses lecteurs, mais qui fait fi de façon impardonnable de toute la dimension sociale de la criminalité organisée. Ce processus stylistique, dans Gomorra, devient le moyen de décrire une humanité à l’écart, comme le Chinois du port ou la jeune fille (Annalisa Durante) tuée dans un quartier populaire de Naples (Forcella), à travers des stéréotypes ethnicisant et culturalistes qui, aussi bien dans le cas de Chinois que de la jeune fille, se réfèrent à un orientalisme séculaire et grossier.
Gomorra a donc fait apparaitre un soif de connaissance de la force des pouvoirs criminels, mais non seulement il n’a pas comblé, comme nous le verrons ci-dessous, les nombreuses lacunes dans l’interprétation mais il a reproduit, non sans risque, une image stéréotypée d’une réalité historiquement défigurées par les classes dirigeantes italiennes, accompagnée d’un racisme incontrôlé, amenant à justifier de vraies opérations de colonialisme intérieur. Une réalité dans laquelle, au-delà de la dénonciation de Saviano, on meurt vraiment depuis des siècles, et pas seulement de camorra.
Gomorra, Saviano et la criminalité organisée en Italie
Je me suis concentré sur certains aspects du livre de Dal Lago mais bien d’autres mériteraient d’être approfondis, surtout en ce qui concerne la dimension littéraire du livre. N’étant pas un critique littéraire mais un ethnographe qui étudie sur le terrain les pouvoirs criminels, j’ai noté dans le livre de Dal Lago, au delà de ce que j’ai déjà écrit, des points de réflexion très importants sur l’idée de mafia que Saviano, et son oeuvre Gomorra promeuvent, et sur les rapports entre les mafias, l’économie globalisée, la politique et le contexte social.
De ce point de vue, effectivement, Gomorra n’ajoute aucun élément d’analyse de la camorra napolitaine et, à part le récit des relations entre criminalité organisée, économie globalisée et quelques figures professionnelles, il n’éclaircit jamais le point principal des pouvoirs criminels, à savoir le rapport avec la politique, d’un côté, et avec la société de l’autre. Dal Lago écrit : “la criminalité organisée est un acteur économique diffus, enraciné et jouissant d’un consensus local, outre l’alliance avec les sphères officielles. Dans Gomorra ces liens, qui touchent surtout l’économie, sont amplement décrits (en dehors des leins politiques)”16. De ce point de vue, Gomorra est un livre qui peine à atteindre le coeur de la camorra, qui ne donne aucun nom important (en dehors des personnes déjà inculpées), qui explique clairement les vastes réseaux dont les mafias sont souvent seulement un acteur parmi d’autres. Dans Gomorra on ne trouve pas les noms des banques qui protègent les investissements des criminels, des financiers qui spéculent pour le compte de la camorra, des avocats, des notaires, des entrepreneurs et, enfin, des fonctionnaires qui appartiennent au réseau qui est le coeur et la force des mafias en Italie. Pour ces raisons et selon mon point-de-vue, Gomorra, devrait être lu comme un roman pulp dans lequel on raconte le far west de la camorra, et non comme un livre qui aide à comprendre la complexité du phénomène camorriste en Campanie, et de sa capacité à atteindre des territoires très eloignes de son lieu d’origine. Comme l’a écrit Dal Lago, dans les pages crues du livre de Saviano, le seul point mis en relief par l’auteur est le lien entre la violence camorriste et les trafic légaux/illégaux de l’économie globalisée. Dans les dernières décennies, des recherches (L’école de criminologie d’Oxford et les études sur le “crime transnational globalisé”) ont étudié la dimension économique des mafias. Quelques chercheurs comme Diego Gambetta ont décrit comment les mafias réussissent à s’installer dans un contexte social déterminé, dans lequel il y a une demande de “protection criminelle17”. En conséquence, la présence de grands marchés illégaux, de booms immobiliers, l’orientation générale de l’économie vers l’exportation – ou pas -, les accords de cartels et l’incapacité de l’Etat à résoudre de façon rapide et efficaces les différents conflits tendent à générer ce type de demande.
Pour le dire clairement, selon l’école d’Oxford, là où les institutions ne gouvernent pas l’économie, les mafias occupent cet espace vide et s’y enracinent. Dans le cas contraire l’enracinement échoue18. De manière générale, cette littérature n’a pas réussi à saisir en profondeur la relation complexe entre les phénomènes mafieux et les contextes dans lesquels ils s’implantent. L’approche de l’école d’Oxford, malgré son apport incontestable, cède à de vieux stéréotypes en se basant en grande partie sur de vieilles “théories du déficit” utilisées pour interpréter les phénomènes mafieux, à savoir le déficit d’Etat, là où les mafias se placent avec plus de facilités pour devenir des acteurs de la régulation économique. Dans ce cas, il n’y a qu’un pas entre les stéréotypes et préjugés ataviques sur la structure sociale de l’Italie du sud, au manque de capital social à la Putnam, à l’aspiration atavique de la population à se construire comme anti-Etat et à être affectée de “familialisme amoral”19.
D’autres chercheurs comme William et Sterling, au contraire, lient la diffusion du crime organisé à l’expansion de la globalisation dans les dernières décennies. Les mafias, selon eux, sont de véritables multinationales du crime, toujours plus indépendantes d’un territoire spécifique, détachées de la souveraineté qui a organisé le système de l’Etat moderne20. Cette approche qui comprend les mafias comme organisations liquides et autonomes, qui concluent des affaires dans le monde entier, est acceptée par de nombreux acteurs institutionnels et hommes politiques occidentaux, mais maintient une vision très superficielle des mafias, dans la mesure où elle ne rend pas compte du consensus social et politique dans les territoires dans lesquels les mafias ont besoin d’exercer leur activité.
A mon avis, donc, l’idée que Saviano promeut dans Gomorra, comme dans ses interventions, est un mixte de ces deux points de vue, traduits dans un langage sensationnaliste. Des points de vue qui ont des limites dans l’interprétation des phénomènes mafieux, ignorant les implications politiques et sociales et apportant des critiques internes au cadre idéologique libéral et à son mauvais fonctionnement.
Personnellement, je suis convaincu que les mafias n’opérent pas en absence de l’Etat ou contre l’Etat, comme le soutient Saviano, mais concourrent avec d’autres acteurs institutionnels à l’organisation politique de la société. Sur ce terrain, les mafias exercent plus ou moins une hégémonie, au sens gramscien du terme.
Je crois par conséquent que l’hypothèse la plus réaliste pour comprendre les mafias – évidemment la plus dérangeant dans le contexte italien-est celle exposée par Umberto Santino qui a théorisé le “paradigme de la complexité” afin d’étudier la mafia sicilienne21. Ce paradigme saisit en profondeur l’évolution entre activité criminelle et organisations, entre pratiques mafieuses et mafias, analysant les pouvoirs criminels en relation au contexte social et au rapport entre activités légales et illégales, et entre groupes criminels, acteurs sociaux et institutions. En ce sens, Santino explique le passage du “devenir social” au “devenir criminel”. Le “paradigme de la complexité” soutient que la mafia est à la fois une organisation sociale et un système de rapports transclassiste qui s’appuie sur un vaste réseau de ” bourgeoisie mafieuse” composé d’acteurs illégaux (Les chefs “capomafia”) et d’acteurs légaux (professionnels, entrepreneurs, administrateurs publics, politiciens, représentants des institutions)22. L’histoire des phénomènes mafieux, pour Santino, est caractérisée par le mélange de la continuité et des transformations, la rigidité formelle et l’élasticité de fait pour s’adapter aux nouveaux contextes et surtout aux nouveaux scénarios globaux. En même temps, les mafias offrent des opportunités concrètes là où elles s’enracinent, aussi bien aux secteurs élevés de la société – les élites dominantes locales – qu’aux classes subalternes et sans ressources qui voient souvent l’affiliation à la mafia comme l’unique moyen de survie et de réussite sociale. Dans le contexte de la globalisation, nombre d’activités illégales sont conduites sans solution de continuité avec les activités légales, dans le mare magnum des économies formelles et informelles qui caractérisent le marché global. Pour cela, très souvent les criminels opèrent en accord avec entrepreneurs et institutions, en conformité avec les transformations opérées dans les dernières décennies en matière de neolibéralisme, en matière de travail et de progressive érosion des droits des classes subalternes.
Ainsi se forment des élites dominantes, ou “bourgeoisies mafieuses” dans lesquelles se mêlent les pouvoirs criminels et ceux des organisations internationales dans lesquelles ils poursuivent, le plus souvent, les mêmes objectifs.
Dans une récente étude ethnographique que j’ai menée dans une communauté de la Campanie, publiée sous le titre “Comment on devient camorristes. La transformation d’une société méridionale (Come si diventa camorristi. La trasformazione di una società meridionale), j’ai pu directement analyser quelques uns des éléments principaux de ce que Santino définit comme “paradigme de la complexité”23. J’ai cherché dans ce travail à reconstruire les raisons pour lesquelles une communauté de bergers, paysans et artisans s’est transformée, en quelques décennies, en communauté gouvernée par le pouvoir de la camorra et dans laquelle les jeunes appartenant aux classes subalternes ont été enrôlés comme main d’oeuvre de la camorra, travaillant dans les rangs les plus bas des organisations criminelles. Les résultats de la recherche m’ont porté à ramener la transformation de la communauté aux dynamiques du capitalisme moderne qui, dans le Sud de l’Italie, de l’après-guerre à aujourd’hui, ont signifié clientélisme, spéculation immobilière, échec de l’industrialisation et pactes entre la majorité des politiques locaux dans leur totalité, comme dans le cas de la communauté sur laquelle j’ai enquêté, et entrepreneurs, professionnels et pouvoirs criminels. La domination de la camorra sur la communauté que j’ai analysée, comme dans tout le Sud de l’Italie, ne s’est pas basée sur de présumées spécificités culturelles méridionales, ou en l’absence de l’Etat, mais a acquis l’hégémonie sur des territoires entiers et la capacité de s’enraciner en d’autres lieux, à travers les processus capitalistes modernes et en accord avec les blocs locaux dominants qui visaient une maximisation du profit et l’instrumentalisation du territoire comme moyen d’enrichissement (le cas éclairant de la spéculation immobilière) et instrument de contrôle des classes inférieures. Cette constatation n’est pas une nouvelle et, aujourd’hui, il est possible d’affirmer à partir de recherches scientifiques et d’exemples historiques que les mafias sont structurellement liées au système capitaliste . En fait, de nombreux livres et recherches se sont penchés sur les relations entre la naissance des mafias et les transformations capitalistes de la société24. Le dernier livre historique et abondamment documenté sur cette relation est celui de Jacques de Saint Victor (Un pouvoir invisible. Les mafias et la société démocratique, XIX°-XXI° siècle) . Ce dernier étudie comment les mafias sont nées avec notre modernité capitaliste libérale et comment elles ont grandi et se sont renforcées dans notre société démocratique25. L’argument ici n’est pas que tout le Sud de l’Italie (ou de ce pays) est une mafia, qui n’existe pas des résistances à la mafia ou que toute la bourgeoisie est mafieuse, mais que l’enracinement des mafias en Italie et à l’étranger est presque toujours basé sur des relations très étroites entre les élites entrepreneuriales et professionnelles locales et les pouvoirs mafieux qui hégémonisent l’espace social, politique et économique. Ces relations qui sont à la base du pouvoir mafieux avait était déjà bien été saisies par Leopoldo Franchetti, au lendemain de l’Unité de l’Italie dans son travail sur la Sicilie26. Il décrivait les chefs de mafia comme des ” trublions de la classe moyenne ” ou des personnes de la classe aisée qui, par rapport aux ” trublions de la classe subalternes ” (la main d’oeuvre criminelles), incarnaient la partie des capitalistes ou des entrepreneurs27.
Donc, la camorra, dans la communauté que j’ai étudiée, s’est infiltrée dans le territoire dans les années soixante, soixante-dix et quatre-vingt à travers la dimension politico-entrepreneuriale, en établissant des pactes avec les potentats locaux. Par la suite, dans les années quatre-vingt dix, elle a littéralement colonisé le territoire, greffant des structures modernes sur les anciennes structures sociales et culturelles. En sorte que la camorra produit aujourd’hui elle-même les dynamiques politiques, économiques et sociales de la communauté. En conséquence, une grande part des jeunes qui travaillent dans les rangs les plus bas des pouvoirs criminels incarne le double rôle de victime et de bourreau. La criminalité organisée, avec ses hiérarchies internes rigides, trompe les personnes impliquées en leur faisant croire à un parcours de mobilité sociale, ou de simple enrichissement par la délinquance. Elle les met en fait au service, comme acteurs criminels, du même marché licite et illicite et du même système politico-administratif qui les a exclus et marginalisés. Une grande partie d’entre eux devient de la chair à canon, soit pour l’organisation criminelle à laquelle ils appartiennent, soit pour les institutions qui déchainent sur eux leur fureur répressive, construisant un discours erroné sur la criminalité. Un discours de lutte contre les mafias à la Saviano qui tend à essentialiser les vies des camorristes, à criminaliser les classes subalternes méridionales, mais qui ne met jamais en cause le système économique et politique dans lequel nous vivons. Les histoires de résistance individuelle et désespérée que j’ai recueillies pendant ma recherche, de jeunes camorristes qui proviennent de vieilles familles de paysans, nous racontent une histoire de souffrance et de désespoir des classes subalternes méridionales auxquelles a été barrée, par un système de pouvoir politico-mafieux, toute forme d’émancipation. Cela vaut pour les décennies passées comme pour aujourd’hui.
Beaucoup de jeunes avec lesquels j’ai parlé pendant ma recherche ont lu Gomorra, ont vu le film etont regardé Saviano à la télévision. À ce propos, je me souviens une soirée du mois d’avril 2010, pendant que j’étais dans un petit café de mon village fréquenté par les jeunes de camorra. Il était presque 21 heure quand un adolescent de 16 ans entre dans le café avec un pistolet dans les mains et il dit à son copain: ” On va faire comme dans le livre de Saviano, enfile-toi le gilet pare-balles et je vais te tirer dessus. Comme ça on peut tester si tu est vraiment fort pour ça”. Cet épisode, et beaucoup d’autres que j’ai personnellement vécu, ne nous aide pas à comprendre ce que les jeunes de camorra ou le camorristes pensent vraiment de Saviano, mais ça nous aident à réfléchir sur la dimension spectaculaire de Saviano/Gomorra qui est devenu patrimoine commune de tous, y compris des camorristes. Donc, ce phénomène ne semble pas être, pour les jeunes de camorra de ma recherche, une fenêtre par laquelle regarder leurs vies et leurs conditions sociales de subordonnés dans un système qui les exploient. Au contraire, ce phénomène, comme tous les opérations médiatiques et commerciales sur les mafias à la Scarface, The Godfather etc.. (très appréciés dans les milieux criminelles) sont un écran où les jeunes de camorra regardent la désespérance et la violence de leur vie décrites à la manière d’une parodie.
Marx disait que l’histoire se répète toujours deux fois, la première comme tragédie, la deuxième comme farce. Selon moi, ceci s’illustre clairement dans les histoires de jeunes de camorra évoqués ci-dessus.
Toujours selon moi, ces histoires nous incitent à réfléchir sur la lutte contre la criminalité, au delà de l’emphase du phénomène Gomorra et de la dérive judiciaire qui considèrent le crime comme un monstre qui garde en son sein une pléthore de bêtes prêtes à tout, et même à se dévorer entre elles.
Donc, au delà des pulp et des discours sensationalistes, au delà de la prison et des menottes, une
lutte digne de ce nom contre la mafia doit questionner avec tout le sérieux nécessaire l’état actuel des choses. Une discussion aboutie de ce phenomène pourra conduire à une revendication des droits sociaux fondamentaux, et à une libération de nos territoires. Moins de mafia et moins de capitalisme équivalent à plus de justice sociale, dans le sud de l’Italie comme partout ailleurs.
1 Roberto Saviano, Gomorra. Viaggio nell’impero economico e nei sogni di dominio della camorra, Mondadori, Milano 2006. Taduction française, Gomorra, dans l’empire de la camorra, Gallimard folio, dernière édition en 2009.
2 Dal Lago contextualise ses réflexions sur Gomorra dans une critique plus générale du courant littéraire “New Italian Epic” dans lequel, selon Dal Lago, le livre de Saviano s’inscrit : il en partage les lois stylistique du genre et la façon de décrire les faits sociaux. Notons qu’en Italie, la littérature et le cinéma ont toujours joués en rôle important dans le débat politique et dans la société. En fait, comme le cas du néoréalisme littéraire et cinématographique, ils ont analysé de façon très profonde les dynamiques économiques, politiques et sociales. Malgré la fiction des différents outils artistiques, ils ont expliqué de façon matérialiste et très réaliste la subordination de classe, l’exploitation, la misère, l’émigration et la pauvreté qui avaient frappé la majorité de la population italienne après la Second Guerre Mondiale. Mais ça ce n’est pas le cas de la “New Italian Epic” ni, à mon avis, de Gomorra.
3 Andriano Sofri, “Perché Saviano non è un eroe di carta”, La Repubblica, 28 maggio 2010.
4 Idem.
5 Paolo Flores D’Arcais, “Perché è ignobile l’attacco a Saviano”, Il Fatto Quotidiano, 29 maggio 2010.
6 Alessandro Dal Lago, Eroi di carta. Il caso Gomorra e altre epopee, Manifesto Libri, Roma 2010, p. 32.
7 Idem, p. 79.
8 Idem, p. 80.
9 Umberto Santino, Don Vito a Gomorra: mafia e antimafia tra papelli, pizzini e bestseller, Editori Riuniti, Roma 2011, p. 175. Comme à écrit Santino, les juges de Palermo (Giovanni Falcone e Paolo Borsellino) ont été souvent dénigrés ou critiqués pendant leur investigations et ont été finalement tués parce ‘qu’il touchaient au coeur du pouvoir mafieux en Italie, en d’autres termes, les institutions du gouvernement. Donc, leurs histoire est tout à fait différente par rapport au rôle joué de Saviano dans la lutte à la criminalité organisée, mémé si beaucoup d’observateurs tentent de les rapprocher à des fins instrumentales.
10 Dal Lago, Eroi di carta, p. 81.
11 Idem, p. 82.
12 Ibidem.
13 Notons que les réflexions et les critiques à Saviano de Dal Lago et Santino ne sont pas les seules. En fait, certaines journalistes, magistrats, artistes, écrivains et militants historiques des mouvements anti-mafia italiens ont pris des positions très dures par rapport à Saviano. Par exemple, dans le mois de janvier passée, un mouvement des associations et de musiciens du quartier de Scampia à Naples (décrit dans Gomorra) s’est opposée, en réaction à Saviano, au tournage de la fiction télévisée de Sky inspiré au livre de l’auteur napolitaine en disant que ça amènerais une ultérieure stigmatisation et spectacularisation du quartier et de ses problèmes. La motivation était que Scampia a besoin de politiques sociales et non de la médiatisation de la criminalité organisée. Cfr: http://www.ilfattoquotidiano.it/2013/01/10/caro-saviano-nessuno-vuole-censurare-fiction-su-scampia/466003/
14 Idem, p. 83.
15 Idem, p. 84.
16 Dal Lago, Eroi di carta, p. 84.
17 Diego Gambetta, The Sicilian Mafia: The Business of Provate Protections, Harvard University Press, Cambridge Mass 1993.
18 Federico Varese, Mafias on the Move: How Organized Crime Conquers New Territories, Princeton University Press, Princeton 2011.
19 Pour le concept de “capital social” appliqué à l’analyse du Sud de l’Italie: Putnam R.D. (1993), Making Democracy Work: Civic Traditions in Modern Italy, Princeton University Press. Par contre, le concept de “familialisme amorale” est issu de l’étude de communauté de Banfield sur le Sud de l’Italie: Banfield E.C. (1959), The Moral Basis of a Backward Society, The Free Press, New York.
20 Paul L. Williams, “Transnational Criminal Networks”, in John Arquilla, Davis F. Ronfeldt, Networks and Netwars: The Future of Terror, Crime, and Militancy, Rand Corporation, Washington D.C. 2001, 61-97 ; Claire Sterling, Crime Without Frontiers: The World Wide Expansion of Organized Crime,Werner Books, London 1995.
21 Umberto Santino, Mafie e globalizzazione, Di Girolamo, Palermo 2007.
22 Umberto Santino, La borghesia mafiosa. Materiali di un percorso d’analisi, Centro siciliano di documentazione Giuseppe Impastato, Palermo 1994.
23 Marco De Biase, Come si diventa camorristi. La trasformazione di una società meridionale, Mesogea, Messina 2011.
24 Anton Blok, The Mafia of a Sicilian Village, 1860-1960: A Study of Violent Peasant Entrepreneurs, Harper & Row, New York 1974; Raimondo Catanzaro, Il delitto come impresa. Storia sociale della mafia, Liviana, Padova 1988.
25 Jacques de Saint Victor, Un pouvoir invisible. Les mafias et la société démocratique, XIX°-XXI° siècle, Gallimard, Paris 2012.
26 Leopoldo Franchetti, “Condizioni politiche e amministrative della Sicilia”, in Leopoldo Franchetti, Sidney Sonnino, La Sicilia nel 1876, Vol. 1, Barbera, Firenze 1877.
27 Idem.
“Revue des livres”, n. 011, mai-juin 2013.
Marco De Biase est Aspirant FNRS – F.R.S. au GERME à l’Université Libre de Bruxelles et au CEDEM à l’Université de Liège. Il travaille aussi comme chercheur à l’Université de Naples ” Suor Orsola Benincasa ” dans le groupe de recherche UriT. Il s’occupe d’ethnographie urbaine et sociales dans l’étude des mondes criminels, des migrations et de mouvements sociaux. Ses dernières monographies: Infami senza lode. Etnografia dei migranti italiani a Toronto e dei rimasti in Italia, Ombre Corte, Verona 2012; Come si diventa camorristi. La trasformazione di una società meridionale, Mesogea, Messina 2011.