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Mafia entre première et deuxième République

Umberto Santino

Mafia entre Première et Deuxieme République

Par les élection des 27 et 28 mars 1994, qui se sont déroulées pour la première fois au scrutin uninominal, majoritaire, l’Italie est officiellement passée de la Première à la Deuxième République.
Si la Première République a été gouvernée pendant presqu’un demi-siècle par la Démocratie Chrétienne, la Deuxième est née avec une nette tendance à droite, concrétisée par une coalition entre la Ligue du Nord qui veut diviser l’Italie en trois grandes régions, Forza Italia organisation politique créée en deux mois et Alliance nationale, nouveau nom du parti néofasciste. Pour l’instant, le premier parti est Forza Italia créé par celui qui détient le monopole des télévisions privées, Silvio Berlusconi, membre de la loge maçonnique P2, grand entrepreneur qui doit son ascension à la protection des leaders des parts politiques de gouvernement, et, avant tout, de l’ex-leader du parti socialiste, Bettino Craxi, exemple type de ce que la Première République avait de pire. Berlusconi apparaît pourtant le champion du renouveau, et, en peu de temps, a rempli le vide laissé au centre par la crise de la DC, en utilisant toutes les ressources de la politique spectacle, et en se servant du réseau de la Fininvest, holding dont font partie plus de cent sociétés. Encore une fois, les forces de gauche, rassemblées dans la Formation progressiste dont la victoire était certaine quelques mois encore avant les élections, ont été relégués dans l’opposition.
Quel sera le rôle de la mafia et des forces qui lui sont liées dans le nouveau contexte politique ? Les conditions de la lutte contre elle se sont-elles améliorées ou ont-elles empiré ? Que deviendront les enquêtes engagées à propos du rapport entre mafia et politique,qui ont pour objet de rechercher les responsabilités d’hommes politiques liés a la mafia, à commencer par l’ex-président du conseil et homme symbole du pouvoir, Giulio Andreotti ?


La mafia dans les cordes ?

Après les arrestations de chefs de la mafia sicilienne, on s’est demandé si la mafia peut être considérée comme vaincue. Au cours de 1993, ont été arrêtés Totò Riina, présumé chef de la coupole mafieuse, en fuite depuis 23 ans, Nitto Santapaola, boss de Catane et membre de la coupole, en fuite depuis 13 ans, et d’autres mafieux, recherchés depuis plusieurs années.
Ces arrestations ont été l’effet en boomerang des tueries de 1992 qui ont provoqué la mort des juges Falcone, Morvillo et Borsellino et de huit hommes d’escorte. Les tueries ont eu pour conséquence une législation plus dure contre la mafia, l’envoi de l’armée en Sicile (mesure plutôt symbolique), la création de nouveaux organismes pour faire face à la criminalité mafieuse, tels que la Direction des investigations antimafia (DIA), la Direction nationale antimafia (DNA), et un parquet spécial.
Dans ce contexte, s’est produit un phénomène qui n’est pas entièrement nouveau (on en trouve des traces au XIXèmes siècle), mais qui est nouveau par son ampleur, le repentir ; actuellement, le nombre de repentis, c’est-à-dire de mafieux qui collaborent avec la justice, est d’environ 700. Le phénomène n’est pas seulement le fruit de la législation sur les primes introduite depuis peu d’années, il est aussi lié à une crise interne de l’organisation mafieux, due à la brutalité du clan des ” Corleonesi “, c’est-à-dire des mafieux originaires de Corleone (village de la province de Palerme, qui a été la capitale de la mafia et du mouvement anti-mafia à la fin du siècle dernier et jusqu’à l’après-guerre), urbanisés depuis longtemps, qui ont imposé à une organisation par tradition républicaine, une sorte de monarchie absolue, et accentué le recours à la violence.
L’arrestation des chefs, l’action de la magistrature, la propagation du repentir, sont des arguments sur lesquels se fonde l’idée répandue que la mafia aurait perdu le consensus (1) de la population et que ses relations avec les institutions seraient rompues. La mafia aurait atteint dans cette période à la fois l’apogée historique de son pouvoir économique, et le point historique le plus bas quant au consensus, et l’Etat serait finalement passé à une stratégie offensive (2).
Ces appréciations sont, à mon sens, par trop hâtives, et reprennent un sentier battu. D’autres fois déjà, on a parlé d’une mafia vaincue ; dans la littérature et dans les informations sur la mafia, existe une constante, le balancement entre l’idée d’une mafia omnipotente après les grands crimes, et d’une mafia moribonde dès que se développe la réaction à ces crimes. Ce fut le cas après le massacre de Ciaculli (1963), après le meurtre de Dalla Chiesa (1982).
Aujourd’hui, en Italie comme ailleurs, après la fin de l’opposition Est-Ouest, s’est ouverte une période nouvelle, mais cela ne signifie pas que le nouveau soit mieux que l’ancien, c’est-à-dire moins favorable au phénomène mafieux ; les résultats des élections politiques italiennes vont dans le sens opposé. Pour dresser un tableau de la situation, il est utile, avant de faire le point, d’aborder la représentation que l’on se fait de la mafia, et le contexte historique que nous avons derrière nous.


Stéréotypes et paradigmes

Le terme mafia a toujours été utilisé de façon imprécise, avec des significations différentes, voire contradictoires. C’est pourquoi, pour analyser le phénomène mafieux, il est indiqué d’examiner d’abord l’imaginaire collectif, les idées reçues à son sujet.
Beaucoup de ces idées sont des lieux communs répétés par habitude et adoptés par paresse intellectuelle (stéréotypes), d’autre disposent d’un minimum d’élaboration scientifique et véhiculent des dimensions importantes, même si elles sont partielles (paradigmes).
La fonction des stéréotypes est de confirmer, induire, diffuser des conformismes de masse ou de groupe, ils minimisent ou diabolisent le phénomène mafieux, le considèrent comme un fait pathologique, local, marginal, ou le grossissent pour en faire l’expression du Mal universel (la pieuvre des schémas télévisés). Les stéréotypes les plus répandus dans les dernières années, sur lesquels se sont ancrées les thèses officielles et les sentiments communs, font de la mafia une menace imminente et un contre pouvoir criminel ou antiétatique.

Le stéréotypes de la mafia comme menace imminente se fonde sur cette idée que la mafia est essentiellement ou surtout une usine à meurtres. … Selon cette représentation, la mafia existe si elle tire, elle est un phénomène important et préoccupant si elle produit des “cadavres excellents”, devient “une question nationale” si elle tue Dalla Chiesa, ou Falcone, ou Borsellino. Dans cette perspective, si la mafia ne tue pas, elle n’existe pas, si elle ne frappe pas en haut, elle est un phénomène local qui ne mérite pas une attention excessive. Le stéréotype de la mafia comme part de la lecture précédente des attentats qui frappent des représentants d’institutions, et en fait une “guerre à l’Etat”, en ignorant la complexité des rapports entre phénomène mafieux et organisation des institutions (3).

Selon les paradigmes les plus répandus, la mafia est une association criminelle typique et une entreprise.
Apres le meurtre de Dalla Chiesa, la loi antimafia a été approuvée (n. 646 du 13 septembre 1982), dont l’article 416 bis introduit une notion nouvelle, l’association criminelle de type mafieux. L’association est considérée comme telle

lorsque ceux qui en font partie, se servent de la force d’intimidation des liens associatifs ainsi que des conditions d’assujettissement, et de la loi du silence (omertà) qui en dérive, pour commettre des crimes, pour acquérir de façon directe ou indirecte la gestion ou, en quelque façon, le contrôle d’activités économiques, de concessions, d’autorisations, d’adjudications, et de services publics ou pour obtenir des profits ou des avantages injustes en soi ou pour les autres.

La loi antimafia a reconnu, avec plus d’un siècle de retard, l’existence de la mafia comme réalité organisée, avec ses caractéristiques spécifiques par rapport aux autres associations criminelles, déjà définies dans le code pénal par trois éléments : le lien associatif, la structure organisée, le programme criminel. La spécificité de l’association mafieuse apparaît dans l’intimidation comme système, l’impérativité de la règle d’obéissance et de non collaboration avec la justice (omertà), qui dessinent une sujétion collective dépassant la cercle des affiliés.
L’article 416 bis prévoit une aggravation des peines ” lorsque l’association est armée “, formulation qui ignore un fait qui semble manifeste, il n’existe pas de ” mafia désarmée “, pour autant que l’usage de la violence avec son nécessaire équipement de moyens pour la mettre en oeuvre, est, comme nous le verrons, un attribut inaliénable de l’organisation mafieuse.
Le retard de la reconnaissance par le droit de l’association mafieuse est allé de pair avec celui des sciences sociales qui, durant des décennies, se sont attardées dans des considérations sur la Mafia comme crime non organisé, comme groupe non structuré, comme culture, en niant l’existence d’une structure organisée. Récemment seulement, quelques uns des spécialistes les plus connus, sur la base des révélations des repentis, se sont convertis de l’informel à la superstructure, c’est-à-dire de ce que j’ai appelé la mafia ” amibienne ” à la mafia ” cartésienne “.

Aujourd’hui, la scène est dominée par Cosa Nostra, l’organisation mafieuse par excellence, découverte grâce aux révélations des “repentis”, avec ses hiérarchies, ses compétences territoriales, ses rites et ses règles (4).

La conception de la mafia comme entreprise contient deux dimensions qui peuvent se designer par les termes de mafia-entreprise et entreprise mafieuse. La mafia est une entreprise dans ce sens que l’activité mafieuse s’organise comme combinaison rationnelle de moyens et de fins en vue de l’enrichissement (entreprise illicite).
Les activités entrepreneuriales licites s’organisent comme entreprise mafieuse par la présence de l’un de ces éléments : le sujet entrepreneurial, officiel ou occulte, est suspecte d’appartenance mafieuse, le capital investi est de provenance illicite, la concurrence utilise des moyens illicites comme la violence et la menace.
Les paradigmes de la mafia comme association criminelle typique et entreprise touchent des aspects importants du phénomène mafieux, comme l’existence d’une structure organisée et la finalité économique de l’activité mafieuse, mais, à mon avis, il n’en épuise pas la complexité.

Un paradigme de la complexité : bourgeoise mafieuse et bloc social

La conception de la mafia située au centre de mes recherches, conduites au Centro Impastato, envisage un renversement ou une intégration des idées reçues, en partant de la considération que la mafia n’est pas un fait pathologique qui se développe sur un corps sain, mais est à la fois produite et reproduite par un écosystème social. Dans cette perspective, le phénomène mafieux peut se définir ainsi :

un système de violence et illégalité ayant pour fin l’accumulation du capital et l’acquisition et la gestion de positions de pouvoir, se servant d’un code culturel et jouissant d’un certain consensus social. Les organisation criminelles sont au centre d’un bloc social transclassiste, qui va des politiciens liés aux mafieux, aux experts financiers qui viellent sur les opérations de blanchiment et d’investissement de l’argent sale, en passant par les avocats en permanence au service de la mafia, jusqu’aux dealers et vendeurs de cigarettes de contrebande. La fonction dominante à l’intérieur d’un tel bloc social qui pourrait tourner autour de quelques certaines de milliers de personnes, est exercée par des sujets légaux et illégaux qui peuvent être définis comme bourgeoisie mafieuse. (5)

Ainsi, les 5.000 affiliés (selon les données officielles) de Cosa Nostra et des autres organisations de type mafieux, qui opèrent en Sicile, ne sont pas isolés mais au centre de systèmes de relations qui traversent le corps social. L’aspect criminel se conjugue à d’autres aspects (économiques, politiques, sociaux) et le phénomène mafieux se caractérise par son polymorphisme, et sa diffusion, sans qu’il faille pour cela criminaliser toute la société sicilienne, qui, à la fin du dernier siècle, a donné naissance à un mouvement antimafia plus ou moins organisé, dont les défaites doivent être interrogées.
Par le dévouement inconditionnel qu’elle requiert de ses affilés, par la diffusion du contrôle des activités exercées sur le territoire, par l’interaction avec l’économie et les institutions, par des sanctions sans appel qui recourent fréquemment au meurtre pratiqué comme peine de mort, par son emprise sur la vie quotidienne avec ses effets dévastateurs pour les relations interpersonnelles, la mafia représente un système totalitaire : oppression calculée, despotisme féroce, assimilable à celui des régimes dictatoriaux les plus intolérants et sanguinaires. Même si elle respecte les formes de la démocratie, la mafia exproprie de façon permanente les citoyens de leurs libertés élémentaires, et fait obstacle au développement de la vie sociale (6).


Parcours historique: continuité et discontinuité

Quant au déroulement de l’histoire, il faut aussi se méfier des idées reçues selon lesquelles il y aurait une ancienne mafia et une mafia nouvelle, une mafia traditionnelle et une mafia entrepreneuriale moderne. Une image fréquente veut que la mafia d’autrefois se conduisait selon un certain code de valeurs, qu’elle était fondée sur “une culture de l’honneur”, à laquelle, au cours des dernières années, s’est substituée “une culture de la richesse”, et que l’antique “association des hommes d’honneur” s’est vue supplantée par des criminels sanguinaires, stigmatisés comme “hommes du déshonneur”. La “dénaturation” de la mafia serait due à son insertion dans le trafic de la drogue.
Des distinctions aussi nettes sont incorrectes et trompeuses; si des repentis s’en servent pour fonder leur propre apologie, i.e. l’apologie de leur propre mode d’être, ou de leur soi-disant mode d’être, les chercheurs et les analystes des informations qui les ont avalisées, ont montré qu’elles manquent de bases historiographiques.
La mafia, comme au reste tout phénomène qui dure, s’est développée dans la continuité-discontinuité, dans la tradition-modernisation-innovation au travers de laquelle des formes anciennes, voire archaïques, comme la seigneurie du territoire et les extorsions, coexistent avec des formes nouvelles et modernes comme le trafic international et les activités financières, et entrent dans des rapports de réciprocité fonctionnelle.
Il est possible de distinguer des phases, mais seulement dans la mesure où existe une forme dominante par rapport aux autres, et en se référant aux changements du contexte social auquel la mafia, en raison de sa malléabilité, s’est toujours montrée capable de s’adapter.
Un tableau de l’évolution historique peut se délinéer de la façon suivante:
– une longue phase de formation, du XVIème siècle aux premières décennies du XIXème siècle; plus que de mafia, on peut alors parler de “phénomène prémafieux”
– une phase agraire qui dure de la formation de l’Etat unitaire aux années 50 du XXème siècle,
– une phase urbano-entrepreneuriale dans les années 60,
– une phase de la mafia financière des années 70 à aujourd’hui (7).

La mafia actuelle est un sujet d’accumulation illégale opérant au niveau international, mais qui a maintenu intactes d’anciennes caractéristiques, comme l’enracinement territorial, et en a accentué d’autres comme le recours à la violence. L’honneur dont on parle pour la mafia agraire, n’était pas du tout le prestige fondé sur le respect des valeurs, il était la reconnaissance d’un rôle social de domination qui avait une base économique et se renouvelait par un constant recours aux activités criminelles, à commencer par le meurtre toujours commis en guet-apens et jamais à découvert.
Les fonctions de la mafia agraire consistaient dans l’accumulation du capital, le contrôle et la répression des mouvements paysans (ses principaux adversaires depuis les Fasci siciliens (1892-1894) jusqu’à la lutte des années 40 et 50 pour la Réforme agraire), le gouvernement local, la médiation entre communautés locales et institutions centrales.
Les années 50, ne sont pas tant marquées par le passage de groupes mafieux de la campagne à la ville (Palerme était antérieurement aussi le centre de la mafia), que par leur insertion dans la nouvelle réalité socio-économique qui voit la dépopulation des campagnes et l’expansion des villes, avec l’accroissement des activités tertiaires et avant tout de l’emploi public. Comme nous l’avons montré dans la recherche sur les entreprises (8), un rôle décisif a été joué dans le développement de l’entreprise mafieuse par les finances publiques, sous la forme d’adjudications de travaux publics ou de financements attribués par des institutions publiques de crédit. C’est ainsi que la mafia urbano-entrepreneuriale naît comme bourgeoisie d’Etat, en désignant par là les strates moyennes supérieures qui se constituent et prennent un rôle dominant grâce à leur relations avec les sources publiques de financement et les institutions.
Depuis les années 70, le rôle sans cesse accru des groupes mafieux dans le trafic international de la drogue, a fait de la mafia actuelle une mafia financière, c’est-à-dire une grande machine d’accumulation de capital illégal, avec, comme conséquence, l’accroissement du rôle des groupes mafieux sur le marché et dans la société.
Dans la phase actuelle, la recherche d’occasions de recyclage et d’investissement de l’argent sale et d’espaces de pouvoir adaptés à l’accroissement du pouvoir économique atteint des niveaux jamais connus jusqu’ici, et, parallèlement, avec le développement d’une concurrence interne (qui a été à son maximum durant la guerre des mafia des années 1981-83), s’est amorcée une compétition pour l’hégémonie externe qui porte sur le démantèlement systématique des obstacles s’opposant au processus d’expansion. Ainsi s’expliquent les grands crimes des années 80 qui ont frappé magistrats et représentants des forces de l’ordre, hommes politiques et responsables institutionnels, du Préfet de Palerme au Président de la région, et qui ont lourdement pesé sur la vie politique nationale (9).


La mafia comme sujet politique

Les deux années 1992 et 1993 peuvent être considérées comme cruciales dans l’histoire de la mafia et de la société sicilienne. En mars 1992, la mafia tue le député européen et leader de la DC, Salvo Lima. Au mois de mai, c’est le massacre de Capaci où sont tués le juge Falcone, son épouse et trois hommes d’escorte. En juillet, c’est le massacre de la Via D’Amelio où disparaissent le juge Borsellino et cinq hommes d’escorte. En septembre, est tué le financier mafieux Ignazio Salvo. En mars 1993, le parquet de Palerme demande l’autorisation de poursuivre Giulio Andreotti, pour participation à des associations mafieuses. En Italie, se répand en tache d’huile l’enquête sur la corruption (Tangentopoli). Le 6 avril, la Commission antimafia approuve un rapport sur mafia et politique, dans lequel est dénoncée la “cohabitation” de l’Etat et de la mafia. Dans le courant 1993, ont lieu différents attentats et massacres sur le territoire national; le 14 mai à Rome (15 blessés), le 27 mai à Florence (5 morts et 40 blessés), le 27 juillet à Milan (5 morts) et à Rome. On parle sans préciser de mafia et d’autres responsables possibles (services secrets, loges maçonniques, néofascistes). Dans le courant de l’année, le régime électoral est modifié, et la voie s’ouvre qui conduira aux élections de mars 1994.
Commentant le meurtre de Lima, j’avais écrit qu’avec lui, la mafia fermait une époque, celle où ses rapports avec les institutions étaient médiatisées par le parti de la majorité, c’est-à-dire la DC, et ouvrait la campagne pour la constitution de la seconde République, à la recherche de nouveaux interlocuteurs (10). Cette recherche s’est poursuivie avec les massacres de 1992 et 1993. Cette interprétation des crimes et massacres commis par la mafia, seule ou avec d’autres, est liée à une représentation de la mafia comme sujet politique dans un double sens.

En tant qu’association criminelle, la mafia est un groupe politique, présentant tous les caractères identifiés par la sociologie pour définir les groupes de ce type. Elle concoure comme groupe criminel et comme bloc social auquel elle appartient, à la production de la politique dans son ensemble, c’est-à-dire, détermine ou contribue à déterminer les décisions et les choix relatifs à la gestion du pouvoir et à la distribution des ressources. (11)

Dans le premier volume d’Economie et Société, Max Weber distingue les caractères suivants des groupes politiques: une organisation, une dimension territoriale, la coercition physique, un appareil administratif en mesure de mettre en œuvre la coercition physique (12).
La mafia possède pleinement ces caractères et détient un pouvoir propre que j’ai appelé “la seigneurie du territoire” (13). En outre, elle concoure à la production de la politique, dans le sens indiqué, de différentes façons:
(i) par l’usage de la violence,
(ii) par la formation de la représentation dans les institutions,
(iii) par le contrôle de l’activité politico-administrative.
Ces caractères politiques de la mafia montrent la dualité du phénomène mafieux: il est extérieur et opposé à l’Etat dans la mesure où le recours systématique à la violence vient du fait que la mafia ne reconnaît pas le monopole étatique de la violence. Mais la mafia est intérieure à l’Etat ainsi qu’aux institutions intermédiaires et locales, par nombre d’activité qui requièrent la collaboration d’organismes publics et l’utilisation des finances publiques (par exemple, les adjudications).
En face de la dualité de la mafia, on peut parler d’une dualité de l’Etat dans son rapport à la mafia. Formellement, la mafia est une association criminelle que l’organisation étatique se doit de combattre, mais l’impunité de la mafia montre que s’est opérée une sorte de légitimation, due au fait que la violence mafieuse est fonctionnelle au maintien d’une organisation déterminée du pouvoir, sur laquelle se fonde la constitution matérielle de l’Etat, c’est-à-dire son fonctionnement concret. Le rapport de la Commission du Parlement européen sur la criminalité organisée exprime cette dimension de la mafia sicilienne en la définissant comme “criminalité institutionnalisée”(14).
L’Etat ne se dédouble pas seulement vis à vis de la mafia. Au cours des dernières années, s’est développée en Italie une réflexion sur l’Etat double comme produit de la dynamique des rapports entre politique nationale et politique internationale au cours du second après-guerre; les groupes dirigeants incorporent deux loyautés, envers leur propre pays et envers la communauté internationale, avec la division de la planète en deux blocs, l’occidental-capitaliste et l’oriental-socialiste (15).
Pour rester fidèle à la politique atlantique, l’Etat italien a créé des organisations secrètes illégales comme le Gladio; et les services secrets ont eu recours ou collaboré à des crimes et à des massacres, ou en ont couvert les auteurs; ces délits ont été accomplis chaque fois que le pouvoir des forces conservatrices était en danger, et tous les moyens ont été bons pour conserver “la démocratie bloquée”, c’est-à-dire une disposition du pouvoir formellement ouverte mais en réalité rigidement fermée à la gauche. Ce qui explique l’impunité des auteurs des massacres italiens, au nombre de huit dans la période 1969-1984 avec 169 morts et 688 blessés (16). Seuls les coupables du massacre de Noël 1984 ont été punis, et parmi eux quelques mafieux. Ce qui signifie qu’à l’intérieur de l’Etat se sont constituées des institutions criminelles qui parfois ont agi en collaboration avec des groupes mafieux.
Cette duplicité de l’Etat va au-delà du concept de “cohabitation” entre l’Etat et la mafia, que l’on trouve dans Relazione su mafia e politica (Rapport sur mafia et politique) de la Commission antimafia (17). Il s’agit en réalité de quelque chose de beaucoup plus profond et plus grave, d’une symbiose entre criminalité institutionnalisée et institutions criminelles, dont la logique de fond doit être recherchée dans l’évolution concrète de la politique atlantique et de l’opposition Est-Ouest. Cette opposition devenue caduque, la mafia et les institutions criminelles les plus exposées, comme les services secrets, ont repris “la stratégie de la tension” avec les attentats de 1993, pour conditionner le passage à la Deuxième République. L’issue des élections politiques constitue un premier pas vers l’apparition d’un contexte favorable à la mafia et à d’autres organisations. La coalition victorieuse est centrée sur Forza Italia, dont le leader était inscrit à la loge maçonnique P2, qui a commencé sa carrière d’entrepreneur avec des moyens financiers en provenance de la Suisse et, selon toute probabilité, d’origine illicite, et qui compte parmi ses fidèles, des hommes qui ont eu des relations avec des mafieux (18).
Effectivement, le contre-coup immédiat des résultats électoraux a été un recul de la lutte contre la mafia, avec une campagne de délégitimation des repentis, la mise en discussion de l’indépendance de la magistrature et l’attaque des magistrats les plus engagés et les plus exposés (19).
Si, comme tout le laisse prévoir, cette tendance se poursuit, les enquêtes sur la mafia et sur Tangentopoli qui ont été menées à bien au cours des dernières années, n’auront été qu’un élagage et n’aboutiront à des résultats concrets que contre les mafieux trop voyants de l’aile militaire, ou contre des hommes politiques en fin de carrière (comme Andreotti) qui deviendront ainsi des boucs émissaires pour des opérations de passage déjà effectuées ou en cours au profit d’autres personnages qui ont su se recycler et se sont camouflés en champions du nouveau. Dans la situation italienne, la donnée la plus alarmante est celle-ci: les protagonistes du renouveau présumé sont les hommes qui peuvent être étiquetés comme des produits typiques de l’affairisme plus ou moins ouvertement criminel qui a caractérisé la Première République. Parmi les pères de la Deuxième République doit, par exemple, immanquablement figurer un personnage comme Licio Gelli, maître vénérable de la loge P2, dont le “programme de renaissance démocratique” qui préconisait la république présidentielle, peut être considéré comme le texte fondamental dont s’inspirent les changements actuels ou en cours, et que la Cour d’assises de Rome a acquitté, au moment du triomphe électoral de la droite, de l’accusation de conspiration anti-démocratique.
Le nouveau s’est avant tout présenté comme destruction de la “partitocratie”, c’est-à-dire du système des partis, et comme changement de la loi électorale. Sur ce second point, beaucoup de représentants de la gauche ont contribué à construire la conviction que l’abandon du système proportionnel, et le choix du système uninominal était le passage obligé du processus de transition de la “démocratie bloquée” à la “démocratie accomplie”, et devait permettre l’alternance au gouvernement du pays. Maintenant que, pour la première fois depuis l’après-guerre, la droite est victorieuse, il y a des ministres néofascistes au gouvernement du pays. Et avec Berlusconi, président du conseil, nous aurons le mariage du pouvoir et des affaires, la constitution de l’Etat-entreprise (ou plus pertinemment en raison de la qualité du personnage, Etat-supermarché, Etat-spectacle, Etat-agence publicitaire, etc. (20)), et, étant donnés ses précédents personnels et ses associés en affaires, quelque chose de très semblable à une criminocratrie formelle. Sont en jeu la démocratie et l’unité nationale. L’échange fédéralisme-présidentialisme entre la Ligue et les néofascistes s’il se faisait, signifierait l’abolition de la Constitution sur des points fondamentaux ce qui ne pourrait pas ne pas susciter de grandes tensions, avec la scission du pays et la confrontation entre ceux qui veulent s’engager dans une forme de bonapartisme et ceux qui désirent sauver la démocratie représentative.


Mafia et scénario européen et international

Si le paysage italien est favorable à la mafia, de son côté, le paysage international présente de nouveaux avantages pour les criminels de type mafieux. Le Rapport de la Commission du Parlement européen sur le crime organisé souligne le passage de groupes criminels d’activités qui se déroulaient dans un milieu local à des activités de dimensions toujours plus internationales:

De par le passé les organisations criminelles avaient généralement une base régionale, ce qui limitait la portée de leur activité et de leur influence. Aujourd’hui elles sont moins paroissiales. Dans la Communauté européenne, le crime organisé a étendu ses activités et bien que l’Italie puisse être considérée comme le berceau de la criminalité structurée (elle a été pour plus d’un siècle un style de vie consolidé dans les régions méridionales de la Sicile, de la Calabre et de la Campanie), des organisations analogues arrivent aujourd’hui d’Asie, d’Amérique du Sud et des Etats-Unis. Des groupes criminels provenant de l’Europe de l’Est et de l’Union soviétique ont été identifiés.(21)

Nous pouvons dire qu’avant même le traité de Maastricht s’est constitué un marché criminel européen qui dépasse l’Europe des douze et unit l’Est et l’Ouest. Sur ce marché figurent les groupes criminels italiens historiques (la mafia sicilienne, la ‘ndrangheta calabraise, la camorra campanienne), le yakusa japonais, la triade chinoise, les clans turcs, slaves, polonais, russes, les groupes pakistanais, iraniens, tamouls, nigériens, les cartels d’Amérique latine. Ces groupes ne forment pas une supermafia unifiée mais ont entre eux des rapports bariolés qui vont de la collaboration au conflit, et il en est de même à l’intérieur de chacun d’eux. Le marché criminel est complexe et multiple, tout comme le légal, et, au surplus, il y a l’usage de la violence.
La gravité de la situation n’est pas seulement due à l’infiltration dans différents espaces européens de groupes criminels historiques mais aussi à la prolifération de nouveaux groupes qui se développent sur le modèle de la mafia, c’est-à-dire alliant pratiques criminelles et rôles économiques et sociaux, accumulant la richesse et tissant des rapports avec les institutions.
Cette infiltration est due à des contradictions fondamentales de la société contemporaine. La première contradiction se situe entre la légalité et la réalité. Un exemple: la prohibition des drogues continue à être la règle générale, réaffirmée par la Convention de Vienne de 1988. Elle aurait dû se donner la tâche de décourager le trafic et la consommation de drogue, et de réprimer vigoureusement les criminels qui produisent et font le trafic des substances interdites. En réalité, la consommation de drogue s’est toujours étendue et les groupes criminels sont devenus de grandes puissances financières, opérant au niveau international.
Une deuxième contradiction se situe dans la politique financière. La politique de libéralisation qui cherche à favoriser la circulation du capital, abolit ou atténue les contrôles de telle sorte qu’elle accroît l’opacité du système financier, en favorisant la symbiose entre capital légal et illégal. Sans doute, la prise de conscience de la gravité du problème du recyclage de l’argent sale, a conduit à l’adoption de mesures qui cherchent à le gêner, comme la résolution du Conseil de l’Europe de juin 1991. Cependant, des mesures comme celle-ci ou comme la loi italienne anti-recyclage de 1990 ne sont que des mesures-tampon, des digues trop fragiles contre des tendances de fond favorisées par les politiques d’ensemble.
Une troisième contradiction est due à la politique économique internationale. La restructuration capitaliste à l’œuvre relance le rôle des grands groupes industrialo-financiers, elle accroît les différences entre centre et périphérie, et marginalise de grandes parties de la population. Dans de telles circonstances, I’économie illégale devient l’unique chance pour bien des régions de la planète et pour de larges couches sociales. Ainsi s’explique l’explosion de la culture des drogues et la prolifération des organisations de trafiquants en Asie, en Amérique Latine, régions qui jusqu’ici se limitaient à produire la matière première ou demeuraient à l’extérieur du marché de la drogue.
Après l’écroulement du “socialisme réel”, l’Europe de l’Est est devenue un nouveau Far West pour des mafias qui accroissent aussi leur rôle dans l’Europe communautaire. Dans des espaces comme l’ex-Yougoslavie et l’ex-Union Soviétique, les conflits actuels favorisent l’enchevêtrement des armes et des drogues; la drogue fonctionne comme monnaie pour l’acquisition des armes nécessaires aux opérations militaires. Le démantèlement des arsenaux nucléaires a mis à la disposition des groupes criminels les armes les plus dangereuses, et a eu pour effet que, dans les pays de l’Est, d’ex-agents des services secrets se sont aussi impliqués dans les trafics illégaux (22).
Dans ce paysage, le destin d’une organisation singulière devient secondaire, l’attention se déplace sur la croissance de l’accumulation illégale et sur la formation de groupes criminels toujours plus ramifiés et toujours plus puissants. Les activités illégales ont devant elles un très grand avenir, elles font entièrement partie du nouvel ordre mondial, avec de graves risques pour la société civile.


Le mouvement antimafia. Raisons des défaites

Selon l’image la plus répandue, la mafia aurait perdu, nous l’avons dit, le consensus dont elle jouissait dans la population. Cette image ignore les phases précédentes de la lutte antimafia et fait commencer le mouvement antimafia avec les manifestations et les initiatives des dernières années (23).
En Sicile, la lutte contre la mafia commence avec les premières luttes paysannes qui prennent une forme organisée et se donnent un programme politique avec les Fasci siciliens (1892-1894). Même s’il y avait aussi des Fasci organisés par les mafieux et le gouvernement de l’époque, ce qui appuie la thèse du caractère mafieux des associations paysannes, le mouvement dans son ensemble était proprement antimafieux (24). Les paysans des Fasci ont été combattus à la fois par les clans mafieux et par l’armée, et le premier mouvement de masse de la Sicile moderne a été noyé dans le sang. Ses dirigeants ont été traduits en justice et condamnés, et beaucoup de paysans ont choisi la voie de l’émigration.
Le mouvement paysan reprend dans les premières décennies du XXème siècle et cherche, avec les locations collectives, à se substituer aux personnages des locataires mafieux (gabelloto), intermédiaires entre propriétaires terriens et paysans. Encore une fois, la réaction de la mafia est violente, et les meurtres de dirigeants et militants paysans demeurent impunis. La dernière vague de lutte paysanne a lieu dans le second après-guerre; la violence mafieuse la frappe très durement. Le pire est atteint en 1947 avec le massacre du 1er mai à Portella della Ginestra, exécuté par des bandits mais voulu par les propriétaires terriens et les mafieux. Des dizaines de militants sont assassinés dans les années 40 et 50. Les luttes paysannes ont pour objectif la Réforme agraire et l’application de la loi sur la répartition du produit, mais même lorsque les paysans se battent pour l’application de la loi, ils trouvent contre eux mafieux et institutions. La défaite du mouvement paysan est suivie d’une émigration de masse de la Sicile et du Mezzogiorno. Du début des années 50 au début des années 70, 800.000 siciliens quittent l’île.
Le mouvement antimafia demeure pendant des années l’héritage des organisations de la gauche, dont le poids dans la vie politique sicilienne ne cesse de décroître. Le pouvoir se trouve solidement aux mains de la DC, et la bourgeoisie mafieuse se développe dans les années 50 et 60 en classe dominante, utilisant dans son ascension une grande part des finance publiques.
Peu se battent contre la mafia, et les mafieux savent exactement choisir leurs cibles, comme le montre le meurtre en 1978 de Giuseppe Impastato, qui poursuit l’organisation d’initiatives de dénonciation et de mobilisation dans l’un des points forts de la mafia, Cinisi, village situé à proximité de l’aéroport de Palerme, dont le contrôle était décisif pour le trafic de la drogue, et géré par le boss Badalamenti, actuellement détenu aux USA dans l’affaire du procès de la Pizza Connection.
Le mouvement contre la mafia ne reprend qu’après les grands crimes du début des années 80, et, en particulier, après le meurtre de l’ex-général et nouveau préfet de Palerme, Dalla Chiesa (3 septembre 1982). Les protagonistes du mouvement sont les proches des victimes, les jeunes, les femmes, des citoyens qui veulent s’opposer au pouvoir exorbitant de la mafia qui a pris possession de la société sicilienne et ensanglante la vie quotidienne. Des associations se forment qui cherchent à donner au mouvement organisation, continuité et programme. Des commerçants et de petits entrepreneurs soumis aux extorsions de fonds forment des comités antiracket qui connaissent un certain développement après l’assassinat de Libero Grassi (28 août 1991), surtout dans la Sicile orientale ou les truands locaux sont depuis peu de temps devenus analogues aux associations mafieuses, et où les citoyens n’ont pas “la culture de la soumission” répandue dans la Sicile occidentale (25) .
Après les massacres de 1992, le mouvement antimafia croît à nouveau. Dans d’autres régions de l’Italie, monte de la même façon, au cours des dernières années, la mobilisation contre la criminalité organisée. A l’heure actuelle, le mouvement anti-mafia ne se borne pas à soutenir l’action de la justice et des forces de l’ordre engagées dans la répression, après tant d’années d’impunité, mais cherche à se transformer dans la perspective d’une action à long terme, tendant à avoir un effet sur la vie quotidienne, à modifier les comportements, et se pose le problème d’une économie et d’une société diversifiées, libérées du poids de la mafia, et coupant les liens entre mafia et politique (26). Persistent cependant des limites dans l’analyse et la pratique, comme le démontrent de récents épisodes comme l’isolement des femmes du peuple palermitain, qui s’étaient constituées partie civile dans le maxiprocès et dans d’autres procès contre la mafia (27).
Dans la situation actuelle, avec, à Palerme aussi, la victoire de la droite après l’éphémère triomphe, lors des élections communales de 1993, de la Rete, formation politique dont le leader est le maire de Palerme, ex-démocrate-chrétien passé à la gauche, et alors que s’ouvre une période favorable à la mafia, le mouvement antimafia s’il ne trouve pas la capacité de s’allier de larges couches de la population, en les arrachant à la dépendance de la mafia et des nouveaux dominants, en liant lutte contre la mafia et lutte pour la démocratie, risque de devenir minoritaire, davantage un témoignage noble et généreux qu’une composante essentielle dans une perspective de renouveau.

Palerme , Juin 1994

Note

(1) Censis, Contro e dentro. Criminalità, Istituzioni, Società, F. Angeli, Milano, 1992, p. 32, 2.
(2) L. Violante, I Corleonesi. Mafia e sistema eversivo, L’Unità. 1993 p. 16.
(3) U. Santino, La mafia come soggetto politico, “una Città per l’Uomo”, 1, 1993, p. 36.
(4) U. Santino, La mafia sicilienne et les nouveaux marchés des drogues en Europe, in A. Labrousse et A. Wallon, La planète des drogues, édition du Seuil. Paris, 1993, p. 123.
(5) Ibid., p. 125.
(6) Cf. R. Siebert, Le donne, la mafia, Il Saggiatore, Milano, 1994, p. 12. La terreur mafieuse est comparée à la terreur nazionale-socialiste: ” Leur élément commun est la caractère totalisant du système détaillé de contrôle, de terreur et de chantage qui frappe l’individu dans ses affects, et le domine dans toute son activité quotidienne. La collusion entre illégalité et légalité, entre crime et politique est telle que les fondements mêmes de notre organisation démocratique sont mis en doute .”
(7) Cf. U. Santino, La mafia financière: accumulation illégale, économie mondiale et rôle de la Sicile dans le trafic international de drogue, “Psychotropes”, VII, 1-2, 1992-93, pp. 116 ss.
(8) Cf. U. Santino, G. La Fiura, L’impresa mafiosa. Dall’Italia agli Stati Uniti, F. Angeli, Milano, 1990.
(9) Cf. G. Chinnici, U. Santino, La violenza programmata. Omicidi e guerre di mafia a Palermo dagli anni ’60 ad oggi, F. Angeli, Milano, 1989.
(10) Cf. U. Santino, Il voto in Sicilia e il delitto Lima, “Città d’utopia”, 3-4, maggio agosto 1992, repris dans La borghesia mafiosa, Quaderno del Centro Impastato, Palerme, 1994, pp. 338-346.
(11) U. Santino, La mafia come soggetto politico, op. cit., p. 42.
(12) Cf. M. Weber, Economia e società, vol. 1, Edizioni di Comunità, Milano, 1981, pp. 52 ss.
(13) Cf. C. Chinnici, U. Santino, La violenza programmata, op. cit.
(14) Cf. Commissione d’inchiesta del Parlamento Europeo sulla diffusione del crimine organizzato, Relazione, 1991.
(15) Cf. R. De Felice, Doppia lealtà e doppio Stato, “Studi storici”, 3, 1989; U. Santino, La mafia come soggetto politico, op. cit.
(16) Cf. AA.VV., Venti anni di violenza politica in Italia, Isodarco, Roma, 1992.
(17) Commissione parlamentare d’inchiesta sul fenomeno della mafia in Sicilia, Relazione su mafia e politica, marzo 1993.
(18) Cf. G. Ruggeri, M. Guarino, Berlusconi. Inchiesta sul signor TV, Kaos edizioni, Milano 1994. Berlusconi a porté plainte contre les auteurs, mais les juges les ont acquittés. Dans la préface à l’édition de 1994, les auteurs écrivent en se référant au jugement qui les acquitte pleinement, formulé par la Cour d’appel de Venise, en octobre 1992: “Il devient en conséquence plus légitime encore, avec le très influent aval du tribunal, de rapprocher le nom et les actes de Silvio Berlusconi du Vénérable Maître de la loge P2 Licio Gelli, du mafioso Vito Ciancimino, du banqueroutier membre de la loge P2 Roberto Calvi, et des aventures de faillite, des sociétés fantômes, de la “mafia blanche.” (p. 16).
(19) Tout de suite après la victoire de la droite, l’hebdomadaire néofasciste “Italia settimanale”, a publié une liste des “têtes à couper” parmi lesquelles figurent Giancarlo Caselli, procureur à Palerme, Agostino Cordova, procureur à Naples et engagé dans une enquête sur la maçonnerie, Saverio Borelli, procureur à Milan et chef du pool de magistrats qui conduit l’enquête “Mani pulite” sur la corruption.
(20) On peut considérer que l’acte de naissance de cette berlusconisation de l’Etat italien date du 29 avril. L’agence Publitalia, société de la Fininvest a fait parvenir aux groupes parlementaires, sur une carte à entête de Forza Italia une liste des tarifs pour les spots publicitaires pour la campagne électorale au parlement européen. Face aux protestations indignées de différents représentants de l’opposition, le porte-parole de Forza Italia a cherché à minimiser la chose en disant qu’il s’agissait d’une gaffe d’un collaborateur.
(21) U. Santino, La mafia sicilienne et les nouveaux marchés de drogue en Europe, op. cit., p. 132.
(22) D. de Kochko, A. Datskevitch, Une super-puissance de la drogue se lève à l’Est, in A. Labrousse et A. Wallon, La planète des drogues, Editions du Seuil, Paris. 1993; L. Fituni, Mosca, Palermo, Bogotà: l’arrembaggio delle mafie unite, “Narcomafie”, 8, novembre 1993.
(23) Le cartel qui regroupe les associations engagées contre la mafia a pris le nom de “Palerme, an un”. Quelques unes des associations sont effectivement nées depuis peu, tout de suite après le massacre de Capaci en mai 1992, mais le Centre sicilien de documentation contre la mafia est né en 1977, et l’Association des femmes siciliennes contre la mafia s’est constituée en 1980.
(24) Vito Cascio Ferro qui devint par la suite chef mafioso et qui en 1909 tua le policier italo-américain Joe Petrosino, faisait certainement partie du fascio de Chiusa Sclafani (Palerme). Le directeur général de la Sécurité publique a soutenu que la mafia aurait servi à la formation des Fasci, mais les historiens excluent nettement cette thèse (Cf. M. Ganci, I Fasci dei lavoratori, S. Sciascia, Caltanissetta-Roma, 1977, p. 203).
(25) Cf. U. Santino, introduzione ad A. Puglisi, Sole contro la mafia, La Luna, Palermo, 1990.
(26) Cf. A. Cavadi, Liberarsi dal dominio mafioso, Dehoniane, Bologna, 1993.
(27) Cf. A. Puglisi, Sole contro …, op. cit.; R. Siebert, Le donne,.. , op. cit.

* Umberto Santino est fondateur et président du Centro siciliano di documentazione “Giuseppe Impastato”, fondé en 1977. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, parmi lesquels, La violenza programmata (en collaboration avec G. Chinnici), Mafia e maxiprocesso, L’impresa mafiosa, Dietro la droga (ces deux derniers en collaboration avec G. La Fiura), La mafia come soggetto politico, La borghesia mafiosa. Il a aussi écrit la satire Una modesta proposta per pacificare la città di Palermo, e le roman Libro di Giona.

Texte traduit de l’italien par Marcello Palumbo et Alban Albini.
Publié dans “Peuples Méditerranéens”, n. 67, avril-juin 1994, pp. 91-107
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